ENS LSH - Colloque - Pour une histoire critique et citoyenne, le cas de l’histoire franco-algérienne

Pour une histoire critique et citoyenne
Le cas de l’histoire franco-algérienne

20, 21, 22 juin 2006


REY-GOLDZEIGUER Annie

Université de Reims Champagne-Ardenne

Histoire et historiens du Maghreb

Session thématique « Histoire officielle »

Jeudi 22 juin 2006 - Matin - 9h-11h - Salle F 106

Résumé de la communication

Notre génération a connu le Maghreb en guerre. Le XXe siècle a enregistré les deux guerres mondiales, les multiples guerres coloniales et les remous des indépendances. Comment les historiens français ont-ils expliqué cette succession de violences, de révoltes, de catastrophes ? Je me suis donc fixé deux interrogations qui sous-tendent mes recherches.

En premier lieu quelle place l’historiographie française sur le Maghreb occupe-t-elle dans l’évolution de l’histoire en France ? Actuellement de jeunes chercheurs donnent à cette évolution une vision misérabiliste, effacée en regard d’une évolution générale de l’histoire qu’ils écrivent en s’appuyant sur des travaux du XIXe siècle. En réalité la Seconde Guerre mondiale a accéléré une évolution déjà existante : les trois camps de l’histoire de la colonisation apparaissent dès 1830 avec les colonistes, les anticolonistes et les neutres. Dans la deuxième moitié du XXe siècle, avec le renouveau des études historiques, les jeunes après leur agrégation vont devenir un vivier utilisé par Charles-André Julien. En 1947, celui-ci est élu par ses pairs à la chaire d’histoire de la colonisation. Homme politique de gauche, il saisit l’occasion de planifier les études historiques coloniales et de renouveler les thèmes historiques. Il peut s’appuyer sur l’autorité de Renouvin, l’amitié complice de Braudel et de Dresch, la reconnaissance de Jacques Berque, mais aussi hors de ce champ sorbonnard, la compréhension des Presses universitaires - où il a pu travailler pendant les années d’occupation - et la sympathie d’Hubert Beuve-Méry par sa collaboration au Monde pour tous les sujets coloniaux. Les jeunes de l’agrégation d’histoire, dès 1947, reçoivent non seulement un sujet de thèse mais aussi un poste dans les lycées, de Damas à Rabat. Les archives peuvent désormais être lues et travaillées avec des préoccupations nouvelles - historiques, économiques et sociales. Dès lors Nouschi, Ageron, Ferro, outre leur travail pédagogique soulèvent des problématiques nouvelles et vont marquer le renouveau des études coloniales non seulement pour le Maghreb mais pour Madagascar et les Antilles avec la volonté d’un dialogue entre cultures différentes.

En second lieu le problème des archives reste encore rivé à la loi de 1972 qui permet de verrouiller telle question et de laisser aux archivistes le soin d’épurer les cartons et de décourager des historiens dits « sulfureux ». Certes un grand pas a été franchi, le temps d’une embellie en 1992. Le général Bassac a ouvert une partie des archives de la guerre d’Algérie. Le deuxième bureau était encore intouchable mais le cinquième bureau a été une mine de recherches nouvelles et la nouvelle salle de travail encourageait les chercheurs. En même temps les archives de la guerre éditaient de précieux volumes : moyens de s’y plonger et de trouver des richesses inexplorées jusqu’alors. Sur cette lancée la création d’un centre des études historiques de la Défense ouvre, en 1995, des perspectives historiques pour les jeunes avec des facilités nouvelles. Hélas, la nouvelle donne, à l’orée du troisième millénaire, a brusquement été stoppée par le lobby pied-noir, qui a repris les médias en main et a cadenassé les archives.

Du point de vue maghrébin, la Tunisie, privilégiée grâce à l’appui de l’équipe de Charles-André Julien, a pu obtenir les doubles des archives françaises et la recherche a pu faire un bond qualitatif. Mais hélas en Algérie la situation est toujours bloquée. L’« histoire officielle » déforme les nouvelles générations. Malgré mon intervention en 2002, signalant par la voie officielle la nécessité d’accès aux archives algériennes - elles existent puisque certains privilégiés algériens en ont eu communication -, j’attends toujours la réponse. Pendant la guerre d’indépendance les communications étaient bien plus faciles !

Le travail sur les archives est devenu l’essentiel du travail de l’historien et l’on a multiplié les archives de tous ordres avec plus ou moins de réussite. Pourtant... Je tiens à verser au dossier cette archive qui prouve les limites de l’absolue vérité. Il s’agit d’un rapport de police de l’été 1943 dans la région de Grombalia en Tunisie. Il met en cause un écrivain très connu et dénonce les agissements de ce jeune homme qui a pu sortir presque intact de l’occupation allemande de la Tunisie. Ce jeune juif tunisien est accusé de menées communiste et nationaliste avec longue citation de ses interventions. Il en fait un militant communiste partisan de l’entente avec les destouriens - crime de souveraineté qui mérite une sanction exemplaire. Le témoignage de l’accusé dément tout le rapport. Quelle confiance accorder ainsi à l’archive ? Bien souvent ces rapports de police imaginés entraînent des erreurs de jugements et ouvrent la porte à une histoire-roman. Ne sacralisons pas les archives !

Publications

-  Le royaume arabe, Alger, SNED, 1977.

-  Histoire de la France coloniale, Paris, Armand Colin, 1991.

-  Aux origines de la guerre d’Algérie, de Mers El Kebir aux massacres du Constantinois, Paris, La Découverte, 2002.



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