ENS LSH - Colloque - Pour une histoire critique et citoyenne, le cas de l’histoire franco-algérienne

Pour une histoire critique et citoyenne
Le cas de l’histoire franco-algérienne

20, 21, 22 juin 2006


MASSARD-GUILBAUD Geneviève

École des hautes études en sciences sociales

La mémoire courte de l’État français : retour sur la politique suivie à l’égard de l’immigration algérienne

Session thématique « Migrations croisées »

Jeudi 22 juin 2006 - Matin - 9h-11h - Amphithéâtre

Résumé de la communication

Cette communication, sollicitée par les organisateurs du colloque, repose sur des travaux de recherche anciens - une thèse sur les Algériens de Lyon entre les deux guerres, soutenue en 1989 -, mais dont il ne semble pas qu’ils aient été démentis à ce jour et qui peuvent être relus aujourd’hui avec d’autres yeux.

Les comportements sociaux des Algériens immigrés variaient significativement selon leur origine géographique, une variable qui en cachait d’autres, comme la structure agraire de ces régions d’origine, la date de la migration, etc. Malgré ces différences, qui tendaient d’ailleurs à s’atténuer au fil du temps, on peut montrer que les Algériens ne suivaient pas spontanément, dans le domaine du travail, de la dispersion dans la ville ou en matière de comportements matrimoniaux, des voies très différentes de celles qu’empruntaient les immigrés issus de pays européens.

J’examinerai plus particulièrement, dans cette communication, la question des mariages mixtes entre Algériens et Françaises non musulmanes, célébrés par centaines à Lyon dans l’entre-deux-guerres, ces mariages pouvant être considérés comme un indicateur, parmi d’autres possibles, d’une certaine intégration à la société française de métropole. Si les comportements sociaux des premiers Algériens immigrés apparaissent finalement banals, l’attitude des pouvoirs publics à leur égard, elle, était fort différente de celle qui prévalait à l’égard des autres immigrés. On peut la qualifier de raciste puisqu’elle visait expressément un groupe défini par sa race supposée, et la résumer en disant qu’elle consistait d’une part à freiner au mieux l’immigration algérienne - faute de pouvoir l’endiguer totalement - et d’autre part à maintenir les Algériens immigrés à l’écart de la communauté nationale et à les stigmatiser aux yeux du reste de la population. Inspirée par le lobby colonial, elle reproduisait en France métropolitaine la situation qui prévalait de l’autre côté de la Méditerranée. Elle fut suivie avec constance par les gouvernements des années 1920 et 1930 - Front populaire excepté - et se perpétua après la guerre, en dépit du changement institutionnel de statut de l’Algérie et des Algériens. Je donnerai quelques exemples précis de cette politique.

Lorsque l’on connaît ce passé, on ne peut qu’être frappé par le paradoxe qui fait qu’après avoir méticuleusement organisé un ostracisme qui ne pouvait pas ne pas laisser de traces à long terme, on en est venu, dans les dernières décennies du XXe siècle, à reprocher aux descendants des immigrés algériens leur incapacité à se fondre dans la population française comme l’ont si bien fait les enfants et petits-enfants des immigrés italiens ou polonais, érigés en modèles... En d’autres termes, à reprocher aux victimes les stigmates qui leur ont été infligés par le passé par les pouvoirs publics eux-mêmes... Mais qui, aujourd’hui, se souvient du temps où, pour les remercier de leurs bons et loyaux services pendant la guerre - la Grande -, la commission interministérielle chargée de l’immigration rédigeait une circulaire qui classait les Algériens - avec les Allemands - parmi les « nationalités » indésirables en France, alors même que l’on organisait une immigration massive pour faire face aux besoins de l’économie...



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