ENS LSH - Colloque - Pour une histoire critique et citoyenne, le cas de l’histoire franco-algérienne

Pour une histoire critique et citoyenne
Le cas de l’histoire franco-algérienne

20, 21, 22 juin 2006


PERVILLÉ Guy

Université de Toulouse-Le Mirail-Toulouse 2

France-Algérie : groupes de pression et histoire (1990-2005)

Session thématique « Une histoire idéologique ? »

Jeudi 22 juin 2006 - Matin - 9h-11h - Salle F 08

Cette communication revient sur un sujet que j’ai déjà plusieurs fois abordé dans les dernières années[1], et tout particulièrement durant l’année en cours[2]. C’est pourquoi je l’aborderai aujourd’hui sous un angle différent de celui que j’avais annoncé. Au lieu de centrer l’exposé sur la mémoire de la guerre d’Algérie aussi bien en France qu’en Algérie, je retracerai l’ensemble de la politique mémorielle dans les deux pays. Ce qui devrait mettre en évidence le fait que la mémoire de la guerre d’Algérie est une question beaucoup moins centrale en France que dans le premier pays concerné, et expliquer en partie la gravité du malentendu ayant abouti à l’échec du projet de traité d’amitié franco-algérien.

Je traiterai donc deux fois le même sujet, d’abord dans la perspective de la politique mémorielle française, puis dans celle de la politique mémorielle algérienne. Mais avant d’aborder la première partie, il convient de rappeler la contradiction longtemps totale entre ces politiques mémorielles. En effet, les deux mémoires ont été longtemps opposées, parce que la France avait choisi en 1962 de faire le silence sur la guerre d’Algérie, facteur de division - contrairement à la politique mémorielle d’union nationale appliquée aux deux guerres mondiales -, alors que l’Algérie, tout au contraire, a choisi une politique d’hypercommémoration de la Guerre de Libération nationale fondatrice de son indépendance. Mais la contradiction entre ces deux mémoires nationales a commencé à s’atténuer depuis la fin des années 1980.

En France, une conscience plus exigeante de la spécificité du génocide des juifs et de la gravité de la complicité de Vichy dans sa réalisation a entraîné la reprise des procès de criminels nazis et de collaborateurs interrompus par l’amnistie de 1953 : procès de l’Allemand Klaus Barbie, puis du milicien français Paul Touvier à Lyon, procès avorté du responsable de la police de Vichy René Bousquet, enfin et surtout procès de l’ancien préfet de police de Paris Maurice Papon pour son rôle dans la déportation des juifs de Bordeaux durant l’occupation de 1942 à 1944. Cette évolution a été accélérée depuis 1995 par le remplacement à l’Élysée de François Mitterrand par Jacques Chirac, lequel a été le premier à reconnaître la responsabilité de la France en tant qu’État - et pas seulement du régime dictatorial de Vichy - dans cette politique antijuive. Mais à l’occasion du procès Papon, à partir de 1997, c’est bien l’ensemble des forces politiques, de gauche et de droite, représentées au Parlement, qui ont ressenti le besoin d’élaborer une politique mémorielle de la France ne laissant aucun grand événement dans l’ombre, dont la première expression fut le vote de la loi du 16 octobre 1999 reconnaissant officiellement l’expression « guerre d’Algérie ». Pour autant, la mémoire de la guerre d’Algérie ne fut pas la seule à être ainsi reconsidérée en fonction de cette nouvelle perspective. On vit consacrer successivement par le législateur, à la suite de la loi Gayssot de 1990 punissant la négation du génocide commis par les nazis et leurs complices contre les juifs, la mémoire du génocide arménien et celle de l’esclavage et de la traite des noirs en 2001. En 2005, le vote de la loi du 23 février en faveur des revendications mémorielles de catégories minoritaires, repliées en France à la suite de l’indépendance de l’Algérie, a provoqué une crise mémorielle très confuse, qui n’a pas été assez clairement comprise faute d’être reliée à la négociation parallèle du traité d’amitié franco-algérien prévu depuis 2003. Mais tous ces traités et projets de traité forment un ensemble qui ne peut être bien compris que dans une perspective globale.

En Algérie, la création de la fondation du 8 mai 1945 par l’ancien ministre Bachir Boumaza en 1990 a été une conséquence directe du procès Barbie, et de la libéralisation de la vie politique algérienne par la Constitution de 1989. Cette fondation a été créée pour adresser à la France la revendication d’une reconnaissance de la répression de la révolte de mai 1945 - ignorée par les accords d’Évian - comme un « crime contre l’humanité », imprescriptible en droit français, et non comme un crime de guerre. Cette revendication a été adoptée par l’État algérien et par l’ensemble des forces politiques qui le soutenaient dans la guerre civile algérienne des années 1990. Dès le 8 mai 1995, une tentative de gagner l’opinion publique française à cette revendication de repentance s’est clairement manifestée. En juin 2000, elle a été formulée officiellement par le président Bouteflika devant l’Assemblée nationale française, lors de son voyage officiel en France. Le président Chirac a longtemps fait comme s’il n’avait pas compris, mais la négociation du traité d’amitié annoncé en 2003 a montré que cette revendication était capitale pour la partie algérienne, et son échec devenu patent après le vote de la loi du 23 février 2005 semble avoir prouvé que les deux pays n’étaient pas sur des positions compatibles.

La reconnaissance officielle du « devoir de mémoire » en France

En France, la notion de « devoir de mémoire » a lentement remplacé celle de « devoir d’oubli », qui était la justification des lois d’amnistie destinées à faire oublier les conflits internes ayant mis à mal la solidarité nationale[3]. La mémoire de la Deuxième Guerre mondiale a été la première à subir cette mutation qui a valorisé le culte des victimes au détriment de celui des héros[4]. Puis les autres conflits et massacres ayant causé des victimes innocentes ont été reconsidérés suivant le même modèle, qui en est venu à être perçu comme le modèle unique de commémoration. Mais le passage à une politique de commémoration nationale s’efforçant de donner satisfaction à tous les groupes mémoriels de la nation française a entraîné entre ces groupes une émulation allant jusqu’à la rivalité, et a suscité autant ou plus de jalousies que d’harmonie.

La répression de la contestation de la réalité des crimes nazis contre l’humanité n’a pas manqué de moyens juridiques depuis 1945, mais

il a fallu la profonde émotion provoquée par la négation du génocide hitlérien et par les conséquences de la banalisation du nazisme pour que l’Assemblée nationale adopte, le 30 juin 1990 dans le cadre d’une nouvelle loi [modifiant sur ce point celle du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe], un article qui constitue en délit la contestation de l’existence des crimes contre l’humanité tels qu’ils ont été définis par les Accords de Londres du 8 août 1945.[5]

Cette loi, dite loi Gayssot, contenait un article 9 qui insérait un article 24 bis dans la loi citée de 1881 :

Seront punis des peines prévues par le sixième alinéa de l’article 24 ceux qui auront contesté, par l’un des moyens énoncés à l’article 23, l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du Tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale.[6]

Pourtant, le bien-fondé de cette innovation avait été contesté dès le 21 septembre 1987 par le président de la Ligue des droits de l’homme Maître Yves Jouffa[7], et celui de la nouvelle loi le fut tout aussi nettement par son successeur, l’historienne Madeleine Rébérioux, qui rappela les différences fondamentales entre les fonctions des juges et des historiens, et le danger de les confondre :

Les génocides peuvent et doivent être « pensés », comparés et, dans la mesure du possible, expliqués. Les mots doivent être pesés, les erreurs de mémoire rectifiées. Expliquer le crime, lui donner sa dimension historique, comparer le génocide nazi à d’autres crimes contre l’humanité, c’est le combattre. C’est ainsi - et non par la répression - que l’on forme des esprits libres.[8]

Cette prise de position claire et nette peut aujourd’hui surprendre, tant elle a été et est encore ignorée par les politiques et par les militants. L’historienne Annette Wieviorka a fait remarquer à propos de cette loi que

le danger potentiel qu’elle recèle, mis en évidence par Madeleine Rébérioux et par Pierre Vidal-Naquet, celui de laisser à la loi le soin de dire l’histoire, n’a dans la pratique pas été vérifié, sauf à considérer que Faurisson et Garaudy sont des historiens.[9]

Mais elle reconnaît elle-même qu’un autre texte de loi, l’article 1382 du Code civil, a été utilisé dans d’autres plaintes, en dehors du cas de la Deuxième Guerre mondiale, contre les historiens Bernard Lewis et Olivier Pétré-Grenouilleau. Et l’on peut ajouter que le philosophe et sociologue Edgar Morin - lui-même d’origine juive - a été récemment condamné en appel pour « diffamation raciale » à la suite d’un texte publié par Le Monde protestant énergiquement contre les effets tragiques de la politique sécuritaire israélienne sur les Palestiniens[10]. Même si la loi Gayssot n’a pas jusqu’à présent eu d’effet directement nuisible à la liberté des historiens, elle a eu au moins un rôle redoutable, celui de source d’inspiration ou de modèle pour les revendications mémorielles d’autres groupes aspirant à obtenir eux aussi la reconnaissance nationale de leur mémoire.

La loi Gayssot a directement inspiré des tentatives d’utilisation judiciaire par des associations défendant la mémoire des victimes arméniennes du génocide commis par l’Empire ottoman en 1915. Ces associations ont développé une action considérable de réfutation des thèses négationnistes soutenues jusqu’à aujourd’hui par les gouvernements de la République turque. Mais elle a pris aussi la forme d’actions judiciaires visant à obtenir la condamnation d’historiens accusés de se mettre au service de l’État turc en contestant la validité du terme « génocide ». L’historien américain Bernard Lewis a été attaqué par le Forum des associations arméniennes de France, soutenu par la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme, à la suite d’un entretien accordé au Monde le 16 novembre 1993, complété par une lettre parue dans le numéro du 1er janvier 1994, où il contestait la validité du terme « génocide », et estimait qu’il n’existait « aucune preuve sérieuse d’une décision et d’un plan du gouvernement ottoman visant à exterminer la nation arménienne »[11]. La justice française a d’abord rejeté l’application de la loi Gayssot, qui ne punit que la contestation des crimes commis par l’Allemagne nazie et ses complices, mais elle a condamné Bernard Lewis, le 21 juin 1995, pour avoir « occulté les éléments contraires à sa thèse », pour s’être exprimé « sans nuances sur un sujet aussi sensible », et avoir tenu des propos « fautifs », car « susceptibles de raviver injustement la douleur de la communauté arménienne ».

Ce jugement a été fermement condamné par l’historienne et présidente de la Ligue des droits de l’homme, Madeleine Rébérioux, non pas pour défendre la validité de la position prise par Bernard Lewis, mais pour refuser à un tribunal le droit de trancher un débat entre historiens sur un problème historique :

Bref, si nous laissons les choses aller d’un si bon train, c’est dans l’enceinte des tribunaux que risquent désormais d’être tranchés des discussions qui ne concernent pas seulement les problèmes brûlants d’aujourd’hui, mais ceux, beaucoup plus anciens, ravivés par les mémoires et les larmes. Il est temps que les historiens disent ce qu’ils pensent des conditions dans lesquelles ils entendent exercer leur métier. Fragile, discutable, toujours remis sur le chantier - nouvelles sources, nouvelles questions -, tel est le travail de l’historien. N’y mêlons pas dame Justice : elle non plus n’a rien à y gagner.[12]

La profondeur du désaccord entre historiens apparaissait en effet très clairement dans le dossier de L’Histoire, « Les Turcs et le massacre des Arméniens »[13], ou s’exprimaient des partisans des deux tendances[14], tels qu’Yves Ternon et Gilles Veinstein. Par la suite, l’historien de l’empire ottoman Gilles Veinstein, qui avait participé à la défense de Bernard Lewis, a fait l’objet de protestations véhémentes d’associations arméniennes contre son élection au Collège de France en 1998. Je ne suis pas en mesure de les départager sur le fond - notamment, sur l’authenticité et la valeur des « télégrammes Andonian », admises par les historiens pro-arméniens mais contestées par Gilles Veinstein -, et donc je ne peux pas prendre parti pour ou contre l’usage de l’expression « génocide arménien », qui suppose une identité de dessein entre le gouvernement ottoman de 1915 et le gouvernement allemand nazi coupable d’avoir décidé l’anéantissement des juifs pendant la Deuxième Guerre mondiale. Mais j’estime comme Madeleine Rébérioux que le recours des historiens à la justice pour résoudre leurs désaccords est un aveu de faillite de leur discipline, et que la mise en doute de leur indépendance intellectuelle et matérielle par rapport à un État est profondément troublante. C’est l’exemple même de ce que les historiens doivent s’employer à éviter.

Cette situation inquiétante a encore été aggravée par le vote d’une loi, adoptée en première lecture le 29 mai 1998 et définitivement en février 2001, par laquelle « la France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915 ». Loi étonnante par l’absence de contenu juridique autre que déclaratif[15], et par l’absence de désignation des coupables présumés de ce génocide, qui semble exprimer implicitement la crainte de réactions turques. Mais cet oubli a été rendu inacceptable aux yeux des militants de la mémoire arménienne par le vote postérieur de la loi Taubira-Ayrault, beaucoup plus radicale. C’est pourquoi, après une véhémente manifestation turque à Lyon[16] contre l’érection d’un monument commémoratif du génocide de 1915, une proposition de loi socialiste visant à doter la loi du 23 février 2001 de clauses pénales empruntées à la loi Gayssot[17] de 1990 est venue en discussion à l’Assemblée nationale en mai 2006, mais elle a été ajournée par la majorité pour des raisons d’opportunité liées aux négociations entre la Turquie et la Communauté économique européenne[18]. Ce qui met en évidence la principale différence incontestable entre le génocide turc de 1915 et celui commis par l’Allemagne nazie entre 1941 et 1945 : le premier n’est toujours pas reconnu par la République turque d’aujourd’hui, alors que le second est reconnu et condamné comme tel par la République fédérale allemande depuis sa fondation.

Peu après les associations arméniennes, un autre ensemble d’associations représentant les citoyens français d’origine africaine et vivant dans les départements d’Outre-mer a inspiré le dépôt du projet de loi Taubira-Ayrault[19] le 22 décembre 1998. La loi a été votée à l’unanimité des deux chambres le 10 mai 2001. Son article 1er définit l’esclavage et la traite des Noirs depuis le xve siècle, et dans un cadre géographique limité à la traite européenne, comme un “crime contre l’humanité” au sens du nouveau code pénal de 1994. L’article 2 préconise son enseignement et le développement des recherches historiques à son sujet. L’article 3 enjoint à la France de poursuivre la reconnaissance de ce crime contre l’humanité par les institutions internationales. L’article 4 préconise l’organisation de sa commémoration sous l’impulsion d’un comité de personnalités[20]. L’article 5 autorise les descendants d’esclaves à porter plainte en justice pour défendre l’honneur de leurs ancêtres. L’application de cette loi a été lente, mais le comité pour la mémoire de l’esclavage, comprenant plusieurs historiens, s’est réuni et a présenté ses propositions en 2005, et le président de la République Jacques Chirac lui a exprimé publiquement son approbation le 30 janvier 2006 pour dissiper les craintes nées de la rédaction imprécise de la loi du 23 février 2005 en faveur des revendications mémorielles des rapatriés d’Algérie et des harkis.

Mais la plainte pour « contestation de crime contre l’humanité » déposée par une association d’Antillais, de Guyanais et de Réunionnais contre l’historien Olivier Pétré-Grenouilleau - qui venait de recevoir en juin 2005 le prix d’histoire du Sénat pour son livre Les traites négrières, essai d’histoire globale - à la suite d’une interview au Journal du dimanche où il avait critiqué les affirmations de Dieudonné et la loi Taubira, a montré le danger que la sacralisation de cette loi comporte pour la liberté du travail des historiens. En décembre 2005, un groupement d’historiens et d’intellectuels prestigieux a signé le manifeste Liberté pour l’histoire[21], qui contestait les quatre principales lois empiétant sur le domaine des historiens - loi Gayssot de 1990, lois de 2001 sur le génocide arménien et sur l’esclavage et la traite des Noirs, et loi du 23 février 2005. Il a ouvert ce texte à la signature de tous les historiens qui ont voulu lui apporter leur soutien, et a décidé la création d’une association pour défendre en justice les historiens abusivement attaqués. Le président de la République, sans accepter de réviser une autre loi mémorielle que la loi du 23 février 2005, a néanmoins reconnu dans son allocution du 30 janvier 2006 que la loi Taubira-Ayrault avait oublié de mentionner la participation des États africains à la traite européenne et la traite musulmane[22], ce qui a sans doute contribué au retrait de la plainte contre Olivier Pétré-Grenouilleau annoncé le 3 février 2006[23].

Il reste que l’histoire a été directement attaquée devant la justice au nom de la mémoire, et sans que la justice ait rejeté la plainte. En effet, la loi Taubira-Ayrault a supprimé la distinction entre le passé et le présent, faisant du passé un éternel présent, ce qui est la négation même de l’histoire. Elle a ainsi franchi un seuil, en déclarant « crime contre l’humanité » des faits certes injustifiables et moralement condamnables, mais dont on ne voit pas comment les coupables et les complices pourraient être poursuivis et punis - puisqu’ils sont évidemment tous morts depuis longtemps - et en autorisant pourtant les descendants de leurs victimes à porter plainte en leur nom pour défendre celles-ci contre ceux qu’ils estiment aujourd’hui attenter à leur honneur. En franchissant ce seuil sans précédent, la loi s’est perdue dans l’absurde, sans qu’aucune autorité politique ou juridique ait osé s’y opposer. Et elle menace directement la liberté de l’histoire et des historiens, dont la défense par une organisation professionnelle est devenue nécessaire.

Par comparaison, la loi du 23 février 2005 en faveur des Français rapatriés paraît à première vue presque anodine. Sa principale particularité est de reconnaître solennellement, au nom de la Nation, les mérites et les sacrifices des Français et des Français musulmans d’Algérie, et cela lui donne un caractère pro-colonial qui surprend ou scandalise de nos jours. Elle a suscité une pétition d’historiens[24] qui lui reprochaient, non sans raison, de porter atteinte à la liberté des enseignants et des historiens par son article 4, lequel prétendait leur imposer de reconnaître une qualification positive de l’œuvre coloniale et de l’armée coloniale françaises[25]. Cette pétition paraît avoir entraîné, à partir du 8 mai 2005, une prise de position négative des autorités algériennes contre cette loi qu’elles ont jugée incompatible avec le traité d’amitié franco-algérien en cours de négociation. Enfin, elle a été désavouée à la fin de l’année 2005 par le président de la République, quand il a vu les élus des départements d’Outre-mer s’élever contre ce texte en le jugeant incompatible avec la loi Taubira-Ayrault[26]. L’examen de ce texte par le Conseil d’État a conduit à la suppression de l’alinéa essentiel de son article 4, ce qui en fait jusqu’à présent le seul texte de loi mémorielle soumis à une censure officielle, bien que le chef de l’État ait répété plus d’une fois que « ce n’est pas à la loi d’écrire l’histoire ».

Selon ses accusateurs, la loi du 23 février 2005 serait une contrefaçon des lois précédentes, recopiant les formules de la loi Taubira-Ayrault pour faire oublier qu’elle exprimait les revendications d’une minorité de colonialistes et de leurs alliés dans la population colonisée. On peut trouver la trace de cette idée dans l’interview accordée par Claude Liauzu au quotidien algérien El Watan du 21 avril 2005 :

Le lobby pied-noir veut une revanche. Il a compris le modèle de la dénonciation du génocide, le modèle de la loi sur l’esclavage. Quand on lit l’article 4 de la loi du 23 février 2005, on s’aperçoit que c’est le même texte que la loi sur l’esclavage, que ce sont les mêmes termes.[27]

Le constat est juste, mais l’interprétation est discutable. En effet, on pourrait aussi bien juger que les auteurs de cette loi ont cru éviter tout reproche en prenant pour modèle la loi précédente qui semblait échapper à toute critique puisqu’elle avait été votée à l’unanimité. Il est vrai que cette loi du 23 février 2005 était destinée à réhabiliter des catégories minoritaires qui ne sont généralement pas considérées comme des victimes, contrairement aux bénéficiaires des lois précédentes, mais on peut soutenir qu’elles ont bien été gravement lésées par la décolonisation telle qu’elle s’est faite[28].

La loi du 23 février 2005 a été critiquée et est critiquable, avant tout, pour deux articles : l’article 4, qui porte atteinte à la liberté de l’enseignement et de la recherche en définisssant des contenus et en leur attribuant un sens positif ; et l’article 3, créant une fondation pour développer la recherche. Or ces deux articles sont incontestablement des emprunts à la loi Taubira-Ayrault - articles 2 et 4 respectivement.

Il est vrai que l’article 2 de la première en date des deux lois a été heureusement débarrassé lors des débats d’une qualification inutile de son contenu :

Les manuels scolaires et les programmes de recherche en histoire et en sciences humaines accorderont à la plus longue et la plus massive déportation de l’histoire de l’humanité la place conséquente qu’elle mérite. (Je souligne)

Au contraire, la loi du 23 février 2005 a inutilement surchargé son article 4 de telles qualifications, qui n’ajoutaient pas grand-chose au contenu des articles 1 et 2. Cette différence est réelle, mais elle a été abusivement surévaluée. En effet, le lecteur de la loi Taubira-Ayrault n’a pas eu le temps d’oublier l’article premier, qui qualifie l’esclavage et la traite des esclaves africains par les trafiquants européens depuis le xve siècle de « crime contre l’humanité », quand il passe à l’article 2. Comme l’a remarqué très justement Paul Thibaud :

Les quatre lois visées [par la pétition Liberté pour l’histoire], bien que différentes évidemment, forment une séquence, elles s’enchaînent. Cela est frappant pour les deux dernières [« Taubira » et l’article 4 de la loi de février 2005].[29]

Quant à l’article 3 de la loi du 23 février 2005, il exprime plus brièvement la même idée que l’article 4 de la loi Taubira-Ayrault. La seule objection que l’on puisse raisonnablement lui faire tient au contexte politique général : une fondation pour la recherche historique, sur un sujet aussi conflictuel, peut-elle être vouée au service de catégories d’acteurs aussi limitées sans autoriser le doute sur son impartialité ? Évidemment non : elle devrait être indépendante de toutes les tendances.

Pour que la comparaison soit complète, il faut également rappeler que la loi du 23 février 2005 a failli comporter à la fin un article répressif - l’article 7[30], comparable à l’article 5 de la loi Taubira-Ayrault -, mais qu’il a été heureusement supprimé par le Sénat[31]. Sur ce point, la comparaison tourne à son avantage. En effet, l’article 5 de la loi Taubira-Ayrault n’attire pas l’attention par son énoncé énigmatique :

À l’article 48-1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, après les mots : « par ses statuts, de » sont insérés les mots « défendre la mémoire des esclaves et de leurs descendants ».

Mais il faut reconstituer l’article ainsi modifié pour comprendre ce qu’il implique :

Toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposant, par ses statuts, de défendre la mémoire des esclaves et l’honneur de leurs descendants, de combattre le racisme ou d’assister les victimes de discrimination fondée sur leur origine nationale, ethnique, raciale ou religieuse, peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions prévues par les articles 24 (dernier alinéa), 32 (alinéa 2) et 33 (alinéa 3), de la présente loi.

Ce qui veut dire que des descendants d’esclaves constitués en associations peuvent légalement représenter leurs ancêtres devant la justice en dépit du temps écoulé. De même, la loi du 23 février 2005 n’a pas repris la référence à la notion de « crime contre l’humanité » qui donne à la loi Taubira-Ayrault un caractère de confusion inextricable entre la morale - qui justifie évidemment la condamnation absolue de l’esclavage et de la traite des esclaves quelle que soit leur date -, le droit - qui ne peut juger et condamner que des vivants -, et l’histoire de siècles passés dont il ne reste aucun survivant, qui ne peut être une œuvre judiciaire[32].

L’échec du traité d’amitié franco-algérien

Même si cette loi du 23 février 2005 supporte mieux qu’on l’a dit la comparaison avec ses devancières, il n’en reste pas moins qu’une réflexion approfondie sur les lois mémorielles françaises doit aussi intégrer le traité d’amitié franco-algérien, en préparation depuis 2003 et officiellement suspendu depuis quelques mois. Or, la presse française n’en a jamais rendu sérieusement compte, et le gouvernement n’en a presque rien dit.

La loi du 23 février 2005 peut s’interpréter de deux manières différentes. D’une part, c’est le résultat d’une alliance entre un rassemblement d’associations de rapatriés et de harkis réunies en 1999 pour réclamer la prise en compte de leurs revendications, qui s’étaient prononcées en 2002 contre le projet de loi socialiste voulant faire du 19 mars la date de commémoration nationale de la guerre d’Algérie[33] et qui avaient misé sur la victoire du président Chirac et de sa majorité. D’autre part, c’est un élément d’une politique algérienne globale définie par le chef de l’État et son gouvernement à la suite des élections de 2002, mais aussi du voyage présidentiel en Algérie de mars 2003. Une déclaration d’intentions du gouvernement Raffarin, déposée le 2 décembre 2003 à l’Assemblée nationale, avait annoncé sa volonté d’« agir résolument sur toutes les questions, à la fois matérielles et symboliques, qui concernent nos compatriotes rapatriés », dans le cadre des « perspectives nées du voyage historique effectué récemment par le président de la République en Algérie »[34]. La loi offerte aux rapatriés et aux harkis visait donc à leur faire accepter ce traité en satisfaisant leurs principales revendications. Il est vrai que les parlementaires, peu nombreux, qui s’étaient intéressés activement à l’élaboration de cette loi, visaient beaucoup plus à satisfaire cet électorat qu’à contenter les dirigeants algériens. Pour autant le texte amendé de la loi, voté sous sa forme définitive dès le 16 décembre 2004, était jugé par le gouvernement compatible avec le traité d’amitié franco-algérien en cours de négociation. Mais si l’élaboration de la loi peut être suivie en détail sur les sites internet des deux assemblées, la négociation du traité franco-algérien est restée secrète, et les informations divulguées par la presse à ce sujet sont restées très rares. Le seul élément rendu public a été le discours prononcé à Sétif, le 27 février 2005, par l’ambassadeur de France en Algérie, Hubert Colin de Verdières, qui évoqua « les massacres du 8 mai 1945, il y aura bientôt soixante ans : une tragédie inexcusable »[35].

Cette déclaration, qui provoqua des réactions très favorables de la presse algérienne et des milieux politiques algériens, semblait destinée à leur donner une satisfaction suffisante pour faire aboutir la négociation, mais tout au contraire, elle fut jugée comme une première concession encore insuffisante à la revendication algérienne de repentance unilatérale de la France pour tous les crimes commis par elle en Algérie de 1830 à 1962 - revendication guère plus raisonnable que la loi Taubira-Ayrault[36], mais d’autant plus difficile à ignorer que cette loi avait été votée à l’unanimité. Ce qui paraît expliquer le raidissement et la rupture ayant suivi la pétition des historiens français contre la loi du 23 février 2005.

En effet, l’opinion publique française était encore très mal informée de cette revendication, formulée depuis 1990 par la Fondation du 8 mai 1945 - fondée par l’ancien ministre Bachir Boumaza - et adoptée par la grande majorité de la presse et des milieux politiques algériens. Les milieux politiques français ne pouvaient pourtant ignorer la revendication de repentance présentée devant l’Assemblée nationale française, le 14 juin 2000[37], mais le président de la République lui-même semblait ne pas vouloir lui répondre dans ses voyages ultérieurs en Algérie. On s’étonne pourtant qu’il ait cru pouvoir proposer un traité d’amitié franco-algérien analogue au traité franco-allemand[38] sans que ce point capital soit règlé.

Durant la crise des relations franco-algériennes qui n’a cessé de s’aggraver à partir du 8 mai 2005, quelques indices d’efforts de rapprochement ont parfois transparu dans la presse. Du côté français, on observe peu de tentatives de relance, à part la louable proposition du ministre Douste-Blazy, le 26 juillet :

Je souhaite qu’il y ait une commission d’historiens mixte, algériens et français, qui puissent se réunir, travailler ensemble, en toute indépendance, pour nous faire une proposition sur cela.[39]

Du côté algérien, il semble que le président Bouteflika avait voulu répondre à une demande française en faisant une déclaration en faveur des harkis lors d’un meeting de sa campagne référendaire le 8 septembre à Oran, où il avait déclaré que le traitement du dossier de leurs familles après l’indépendance était l’« une des plus graves erreurs commises dans le passé », qui avait « porté préjudice au pays », et qu’« une bonne partie de la crise qu’avait connue le pays était due à cette grave erreur »[40]. Mais l’un de ses ministres, Saïd Barkat, l’a peu après démenti :

La majorité du peuple algérien est contre la venue des harkis en Algérie, car ce sont des traîtres à leur pays et à leur nation. Quant à leurs enfants, ils seront les bienvenus à condition qu’ils reconnaissent de facto les crimes de leurs parents.[41]

Plus tard, la correspondante du Monde à Alger notait pourtant un relatif optimisme chez les responsables français de la négociation du traité : « L’aspect technique est bouclé depuis longtemps. Ce qui bloque, c’est l’habillage politique », estime-on à l’Élysée et au Quai d’Orsay. « La volonté des deux parties d’aboutir n’est pas remise en cause. Bouteflika et Chirac savent qu’ils ont une opportunité historique à saisir, mais les ajustements politiques sont délicats ». Les points d’achoppements seraient l’abrogation de la loi du 23 février, « impossible dans l’immédiat », et la reconnaissance de la tragédie des harkis, souhaitée comme compensation par le président Chirac, mais faisant hésiter le président Bouteflika par son aspect « explosif » dans son pays[42]. À la fin décembre, le même journal notait que « les relations avec la France ne cessent de se détériorer », notamment à cause d’un sondage CSA paru dans Le Figaro, suivant lequel deux tiers des Français approuveraient l’article contesté de la loi du 23 février 2005. Mais les responsables politiques admettaient que ce traité finirait par être signé tôt ou tard, et qu’alors la population algérienne s’inclinerait[43]. Au début de 2006, le président français persistait à présenter le traité franco-algérien - pour lequel il avait abandonné le passage le plus contesté de la loi du 23 février 2005 - comme un objectif capital : « Si l’année 2005 a été celle d’un grand rendez-vous manqué entre la France et l’Algérie, 2006 se présente sous les airs des retrouvailles ». Paris et Alger travaillent « afin qu’un traité d’amitié vienne consacrer, dans un esprit d’équité et d’ouverture, cette relation nouvelle, confiante et durable qui est de l’intérêt de tous », a indiqué Jacques Chirac le 10 janvier 2006[44]. Mais ces espoirs se sont peu à peu dissipés, et le président Bouteflika les a clairement démentis dans son discours du 8 mai 2006[45].

Aujourd’hui, la longue attente du traité d’amitié franco-algérien s’est dissipée comme un mirage, parce que ses conditions ne semblent pas avoir fait l’objet du côté français de la réflexion sérieuse qu’elles méritaient. Mais aussi parce que du côté algérien l’objectif de remporter une victoire morale totale et définitive sur le colonialisme français, dans la perspective de consolider la victoire sur les islamistes remportée dans la guerre civile, a été préféré à la recherche d’une véritable réconciliation franco-algérienne. Celle-ci ne peut se faire sur une base manichéenne, en attribuant tous les crimes à un seul et même côté. Mais l’amnistie réciproque des deux camps implicitement décidée en 1962 par les accords d’Évian n’est pas plus satisfaisante, maintenant que le devoir de mémoire a pris la place du devoir d’oubli. Une relation franco-algérienne assainie suppose certainement une reconsidération de l’histoire douloureuse qui a confronté les deux peuples dans une relation profondément inégalitaire. Mais cette reconsidération ne peut réussir qu’en faisant prévaloir un esprit vraiment historique sur les passions et les idéologies. Près d’un demi-siècle après les accords d’Évian, et presque deux tiers de siècle après le 8 mai 1945, est-il encore trop tôt pour l’espérer ?


[1] Voir notamment sur mon site internet http://guy.perville.free.fr : « La revendication algérienne de repentance unilatérale de la France » (2004) et « Le 8 mai 1945 et sa mémoire en Algérie et en France » (2005), ainsi que les Mises au point « Mon avis sur la pétition des historiens », « Réponse à Gilles Manceron », et « Quand on parle de la colonisation, on ne peut pas se satisfaire d’un seul jugement » (2005).

[2] Voir mes deux publications au colloque de Toulouse sur l’histoire immédiate, 5 et 6 avril 2006, « L’histoire immédiate de la relation franco-algérienne : vers un traité d’amitié franco-algérien ? » et « La confrontation mémoire-histoire en France depuis un an », disponibles sur mon site internet http://guy.perville.free.fr.

[3] Stéphane Gacon, L’amnistie, de la Commune à la guerre d’Algérie. Paris : Seuil, 2002.

[4] Guy Pervillé, « La guerre d’Algérie cinquante ans après : le temps de la mémoire, de la justice, ou de l’histoire ? », Historiens et géographes, octobre 2004, n° 388, p. 237-246.

[5] Madeleine Rébérioux, « Le génocide, le juge et l’historien », L’Histoire, novembre 1990, n° 138, p. 92-94.

[6] Cité dans L’Histoire, février 2006, n° 306, p. 80.

[7] « Nous ne pensons pas que la modification de l’article 24 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881, tendant à créer un délit de négation des crimes contre l’humanité, soit de nature à faciliter la lutte contre les écrits racistes. Cela risque de poser de sérieux problèmes tant au regard de la liberté de la presse qu’au regard de la libre recherche universitaire ou historique. » Cité par M. Rébérioux, « Le génocide, le juge et l’historien », art. cité, p. 93.

[8Ibid., p. 94.

[9] Annette Wieviorka, « Avant de balayer la loi Gayssot... », L’Histoire, février 2006, n° 306, p. 82.

[10] Edgar Morin, Sami Naïr et Danièle Sallenave, « Israël-Palestine : le cancer », Le Monde, 4 juin 2002. Voir l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 26 mai 2005, la motion de soutien « En témoignage de solidarité » parue dans Libération du 24 juin 2005, et la réponse des partisans de la plainte : « Dites non aux racistes ! Dites non aux antisémites ! » (Textes disponibles sur http://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_Morin).

[11] Bernard Lewis, « Arméniens, les explications de Bernard Lewis », Le Monde, 1er janvier 1994, p. 2.

[12] M. Rébérioux, « Les Arméniens, le juge et l’historien », L’Histoire, octobre 1995, n° 192, p. 98. Dix ans plus tard, la plainte contre Olivier Pétré-Grenouilleau a parfaitement réalisé cette prévision.

[13L’Histoire, avril 1995, n° 187, « Les Turcs et le massacre des Arméniens », p. 22-44.

[14] Voir aussi le courrier des lecteurs, juin 1995, n° 189, p. 95 ; et n° 191, p. 92 et 95.

[15] C’est en fait l’équivalent d’une ancienne « résolution » parlementaire, qui n’est plus autorisée par la Constitution de 1958.

[16] « Un mémorial à histoires. La mémoire arménienne fait irruption à Lyon », Libération, 22-23 avril 2006, p. 2-3.

[17] À savoir cinq ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.

[18] L’association Liberté pour l’histoire, fondée à l’occasion de l’affaire Pétré-Grenouilleau, a pris position contre ce projet de loi contraire aux promesses que lui avaient faites les partis politiques de ne plus voter de nouvelles lois mémorielles.

[19] Madame Christiane Taubira, députée radicale de la Guyane, et Jean-Marc Ayrault, député-maire socialiste de Nantes, ont pris la responsabilité commune de cette proposition de loi, exprimant le mécontentement semé dans les anciennes colonies par une mémoire officielle de l’esclavage limitée à celle de son abolition en 1848.

[20] La création de ce comité n’était pas prévue dans le projet initial. La désignation de ces personnalités, parmi lesquelles plusieurs historiens, leur permet de remplir leur mission dans un esprit historique.

[21] Voir ce texte dans L’Histoire, février 2006, n° 306, p. 79, la rubrique sur les lois de mémoire sur le site de la revue : http://www.histoire.presse.fr/ (consulté le 26 mars 2007), et le dossier de Historiens et géographes, février 2006, n° 393, p. 35-44.

[22] Selon le site internet de Dieudonné
(http://lesogres.org/aericle.php3?id_article=1258 [consulté le 26 mars 2007]), Madame Taubira aurait reconnu sur une radio que le gouvernement n’avait pas voulu donner un caractère universel à cette loi pour ne pas aller rechercher des criminels à l’étranger afin de ménager ses relations internationales. Si cela est bien vrai, la confiance des citoyens envers le sérieux des législateurs et des ministres ne peut qu’en souffrir.

[23] Voir Le Monde, 3 février 2006, p. 3.

[24] Claude Liauzu, Gilbert Meynier, Gérard Noiriel, Frédéric Régent, Trinh Van Tao et Lucette Valensi.

[25] Son éloge par le président de la République dans son discours du 15 août 2004 à Toulon n’avait pas suscité les mêmes réactions parce qu’il ne mentionnait pas explicitement la période 1954-1962.

[26] En réalité, la rédaction très imprécise et variable des termes géographiques employés dans cette loi permettait de croire que celle-ci concernait tous les originaires des anciennes colonies françaises, ce qui n’était évidemment pas le cas, mais la faute de rédaction était indéniable.

[27] Claude Liauzu, « Analyser la colonisation pour éviter les communautarismes », El Watan, 21 avril 2005 http://www.elwatan.com/(consulté le 26 mars 2007).

[28] Les citoyens français enregistrés comme victimes d’enlèvements en Algérie par des Algériens entre le 19 mars et le 31 décembre 1962 sont plus de 3 000, dont la plupart n’ont pas été retrouvés vivants. Les « Français musulmans » enlevés et souvent massacrés dans la même période n’ont pas été recensés.

[29] Paul Thibaud : « Nous sommes inquiets des effets de la concurrence mémorielle qui tend à déchirer le corps politique et à dresser des groupes de victimes de l’histoire les uns contre les autres », intervention prononcée le 21 janvier 2006 lors de la table ronde organisée par l’association Pollens. Voir sur le site de l’Observatoire du communautarisme : http://www.communautarisme.net (consulté le 26 mars 2007).

[30] L’article 7, adopté par l’Assemblée nationale le 11 juin 2004, déclarait : « Après l’article 23 de la loi du 19 juillet 1881 sur la liberté de la presse, il est inséré un article 23 bis ainsi rédigé : “Les dispositions des articles 23, 24, 48-2 et 65-3 sont applicables aux crimes commis contre les harkis et les membres des formations supplétives après le cessez-le-feu du 19 mars 1962” ». Cet article a été critiqué au Sénat dans la séance du 8 décembre 2004 et abrogé.

[31] La loi du 23 février 2005 comporte encore un article pénal, l’article 5, qui interdit « toute injure ou diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée de harki, d’ancien membre des formations supplétives ou assimilées, et toute apologie des crimes commis contre les harkis et les membres des formations supplétives après les accords d’Évian », mais sans créer de nouvelles sanctions par rapport aux lois en vigueur. Le président socialiste du Conseil régional de Languedoc-Roussillon, Georges Frêche, semble devoir faire l’objet de la première plainte fondée sur cet article.

[32] Au contraire, la notion de « crime contre l’humanité » est au centre de l’action de la Fondation du 8 mai 1945, fondée par Bachir Boumaza, en Algérie, et de l’association « 17 octobre 1961 contre l’oubli », dirigée par Olivier Lecour-Grandmaison, en France.

[33] Voir G. Pervillé, « La date commémorative de la guerre d’Algérie en France », Cahiers d’histoire immédiate, automne 2004, p. 61-70, disponible sur mon site internet http://guy.perville.free.fr. Cf. « Mémoire, justice et histoire » (1998) et « Mythes et réalités de la “désinformation” dans l’histoire de l’Algérie coloniale et de la guerre d’Algérie » (1999), dans lesquels j’ai critiqué le principe des lois officialisant une mémoire.

[34] Déclaration du gouvernement sur les rapatriés, enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale le 2 décembre 2003, n° 1265,
http://www.assemblee-nationale.fr/12/dg/dg1265.asp

[35] Texte complet sur le site http://www.ambafrance-dz.org

[36] La répression de mai 1945 concerne encore des vivants, mais la qualification de « crime contre l’humanité » est démentie par l’existence d’une révolte indéniable à Sétif et dans ses environs - sinon à Guelma, où la répression a nettement devancé l’insurrection.

[37] Sur ce point capital, voir G. Pervillé, « La revendication algérienne de repentance unilatérale de la France », et « Le 8 mai 1945 et sa mémoire en Algérie et en France » (2005) sur mon site internet http://guy.perville.free.fr.

[38] Pourtant la Fondation du 8 mai 1945 ne cache pas qu’à ses yeux la France a joué en Algérie le même rôle que l’Allemagne en France occupée.

[39] « Algérie-France : M. Douste-Blazy réclame une commission d’historiens », dépêche AFP, Le Monde, 28 juillet 2005, p. 4. Quelques jours plus tôt, le président de la République avait utilisé son voyage officiel à Madagascar pour évoquer, à propos de la répression de la révolte de 1947, le « caractère inacceptable des dérives du système colonial », et prôner « un travail de mémoire qui retrace les faits et qui puisse apaiser les cœurs ». Voir sur le site de la Ligue des droits de l’homme de Toulon, « Madagascar, Chirac rappelle une page noire de la colonisation », 22 juillet 2005, http://www.ldh-toulon.net/article.php3?id_article=778 (consulté le 26 mars 2007).

[40] « L’Algérie fait son mea culpa vis-à-vis des harkis », 9 septembre 2005, http://www.harkis.info/portail/article.php?sid=44 (consulté le 26 mars 2007).

[41] Florence Beaugé, « Les fils de harkis sont invités à rentrer à Alger mais à s’excuser », Le Monde, 17 septembre 2005, p. 3.

[42] F. Beaugé, « Le traité d’amitié franco-algérien ne devrait pas être signé cette année », Le Monde, 26 novembre 2005.

[43] F. Beaugé, « Alger se prépare au retour de M. Bouteflika », et « Les relations avec la France ne cessant de se détériorer », Le Monde, 31 décembre 2005, p. 4.

[44] Yacine Kenzy, « Loi du 23 février. Le texte réécrit “courant février” », Liberté, 14 janvier 2006.

[45] Voir l’article de Mustapha Benfodil, « ‘‘La colonisation française a été brutale et génocidaire’’, Bouteflika persiste et signe », dans Liberté du 8 mai 2006, http://www.liberte-algerie.com/ (consulté le 26 mars 2007).


Citer cet article :
Guy Pervillé, « France-Algérie : groupes de pression et histoire (1990-2006) », colloque Pour une histoire critique et citoyenne. Le cas de l’histoire franco-algérienne, 20-22 juin 2006, Lyon, ENS LSH, 2007, http://w3.ens-lsh.fr/colloques/france-algerie/communication.php3?id_article=211