ENS LSH - Colloque - Pour une histoire critique et citoyenne, le cas de l’histoire franco-algérienne

Pour une histoire critique et citoyenne
Le cas de l’histoire franco-algérienne

20, 21, 22 juin 2006


Romain BETRAND, Mémoires d’Empire. La controverse autour du « fait colonial », Éditions du Croquant, Broissieux, Bellecombe-en-Bauges, 2006, 221 p.

Par Gibert Meynier - Novembre 2006

Le livre de Romain Bertrand se place dans l’inspiration de Michel Foucault lorsqu’il parlait du « domaine d’objets ». Il traite des querelles mémorielles, cristallisées notamment par la loi du 23 février 2005, mais aussi dès auparavant par des lois mémorielles antérieures. Il montre que le discours sur l’ « œuvre civilisatrice » a peu changé depuis le parti colonial du XIXe siècle, du moins chez les groupes « rapatriés » et autres nostalgiques de l’Algérie française ; et chez tels de leurs hérauts qui se donnent pour historiens. On est encore souvent, au mieux, toujours dans la mythologie des deux temps successifs du colonial : la conquête brutale, précédant l’œuvre positive épanouie.

L’auteur étudie la mémoire de l’OAS telle qu’elle a été traitée par le Parlement, et la levée du « verrou anti-OAS », y compris chez des gens se réclamant du gaullisme : y a-t-il un bon usage des « assassins du général » ? De ses analyses, il ressort que les groupes de pression Algérie française sont d’autant plus porteurs qu’il sont plus fantasmés : il n’est en rien prouvé, n’en déplaise à Georges Frêche, que le « lobby pied-noir » fasse les élections dans le Midi. R. Bertrand tire, de la sociologie des députés actifs en faveur de la loi du 23 février 2005, qu’ils ne se situent pas au premier cercle du Château ; qu’ils ont même souvent embarrassé le Château. Est aussi passée en revue la crise franco-algérienne de 2005. Côté français, elle se relie à l’incapacité à concevoir un passé qui ne soit pas traité en termes de binôme « positif-négatif ». Salutaire, aussi, s’avère l’examen des assertions des « Indigènes de la République » et de tous ceux pour lesquels le passé colonial serait toujours inscrit dans le présent, consubstantiel à la République française.

Ce faisant, sont prêtées aux « jeunes des banlieues » de novembre 2005 des motivations qui ne sont souvent pas vraiment les leurs, cela au prix de schématisations anachroniques qui peinent à - ou qui ne veulent pas - considérer le présent dans ses duretés intrinsèques bien actuelles. D’où un rapport Arno Klarsfeld, qui brouille passablement les cartes entre lois mémorielles et lois d’amnistie, et une tribune libre [1] où François Hollande et Victorin Lurel « ménage[a]nt la chèvre de la tradition anticolonialiste et le chou de la sensibilité pied-noire » en appelant de leurs vœux l’élaboration d’une bien fantasmatique « mémoire partagée » du fait colonial ; cela tandis que gauchistes et altermondialistes se divisent. Pour finir, le livre évoque l’inquiétude d’historiens, appelés à essuyer, à l’instar d’Olivier Pétré-Grenouilleau, des horions provenant de groupes de mémoire insatisfaits ; qui peuvent réagir en créant un Comité de Vigilance face aux Usages publics de l’Histoire (CVUH), ou en pétitionnant contre les lois mémorielles « indignes ». [2]

Le livre de Romain Bertrand, d’une lecture agréable, vient à point : il est bien informé, finement analytique et sainement distancié, avec parfois une pointe d’humour. C’est au total un livre d’histoire immédiate bien conduit.

Notes

[1] Le Monde, 13 décembre 2005.

[2] « 19 historiens réclament l’abrogation des lois “indignes” », Le Monde, 14 décembre 2005.